La problématique des territoires de demain:
les territoires face à l'enjeu de l'économie du savoir
Economie de la connaissance ou des savoirs, régions de la connaissance, territoires de compétences, technologies de la connaissance… sont autant d’acceptions d’un même concept global encore peu mis en œuvre en France au niveau des stratégies territoriales. Pourtant les territoires qui favorisent l’accès et le partage des savoirs en s’appuyant sur les technologies de l’information et de la communication sont de plus en plus nombreux comme l’ouvrage Pour une Europe innovante nous le montre à travers les exemples de plusieurs initiatives européennes menées en la matière. Ainsi, en Finlande, les instances territoriales se préoccupent de la formation de tous en misant sur une économie des compétences rendue possible grâce à l’utilisation généralisée des technologies de l’information. De même, parmi bien d’autres initiatives espagnoles, les Wikipedias locaux se développent en Estrémadure, alors qu’en Catalogne le maire de Mataró développe une cartographie des savoirs destinée aux chefs d’entreprise qui souhaitent s’implanter sur son territoire… La démultiplication de telles initiatives concrètes illustrent le dynamisme des collectivités locales européennes en matière de développement de l’économie de la connaissance à l’échelle territoriale, mouvement auquel la France ne participe encore à ce jour que fort modérément.
Le terme d’économie de la connaissance est utilisé depuis plus d’une décennie. Il apparaît dans un contexte caractérisé par l’émergence d’une société, non seulement de plus en plus globalisante, mais également basée toujours plus largement sur les outils numériques et au sein de laquelle l’accès et le partage des savoirs représentent de véritables leviers stratégiques de développement. Le rôle des infotechnologies est essentiel, voire omniprésent, dans la mise en relation de l’ensemble des acteurs et promoteurs de cette économie émergente basée sur la connaissance. A cet égard, les territoires et les collectivités territoriales apparaissent de plus en plus comme des acteurs de premier plan. Dans un contexte de compétitivité exacerbée entre les territoires, ce sont les rapports de ces derniers à l’innovation et à la mobilisation des savoirs qui fait aujourd’hui la différence. Les nouvelles formes d’apprentissage, l’accès aux connaissances, leur diffusion, leur transmission, voire leur transformation en compétences sont autant d’avantages compétitifs dynamiques pour les territoires qui en prennent la juste mesure.
Il est vrai que pour le moment, les territoires français sont assez peu engagés dans ce mouvement dont nombre d’élus locaux semblent mal appréhender les contours et les enjeux. Les raisons de ce décalage entre de nombreux territoires français et d’autres territoires européens sont complexes, mais l’explication culturelle est la plus évidente. On constate de fait que les états les moins centralisés, tels que l’Espagne, mais aussi l’Italie ou l’Allemagne se distinguent par une forte prise de conscience des enjeux à relever en matière d’économie du savoir. Les décideurs locaux se positionnent alors comme de véritables entrepreneurs de la connaissance dans la gestion des territoires à l’échelle locale. Ce qui se traduit aujourd’hui par la mise en œuvre de projets concrets, aboutis, très pertinents à étudier, dont l’ouvrage « Pour une Europe innovante » se fait l’écho pour ce qui est de certains d’entre eux.
Les domaines de la culture, du tourisme et plus globalement toute la gestion du développement économique du territoire, ainsi que la gestion des relations avec les citoyens avec l’e-démocratie et la gouvernance participative, sont profondément modifiés lorsque les acteurs publics placent l’économie de la connaissance au cœur de leur stratégie territoriale. Une fois ces grands domaines d’actions et bénéfices inhérents identifiés, les modalités de valorisation des informations et des savoirs peuvent diverger dans leur mise à disposition.
Dans le secteur culturel par exemple, les territoires s’engagent largement dans le développement d’un marketing territorial basé sur la valorisation de la créativité et du patrimoine culturel. Ainsi, suite à des projets européens novateurs comme MOSAIC, les réalisations de musées virtuels se démultiplient, comme en Italie ou en Pologne avec par exemple le musée virtuel de l’insurrection de Varsovie.
Les nouvelles formes de tourisme prennent également appui sur les technologies de la connaissance au travers notamment de la géo-localisation des données issues des grandes plate-formes informationnelles territoriales en cours de constitution. Toutes ces solutions et outils contribuent concrètement au développement d’une économie territoriale de la connaissance. Au travers des portails touristiques et des centrales de réservation, de la géo-localisation des contenus culturels, des reconstitutions virtuelles et de la navigation en 3D, le secteur touristique assisté par les technologies de la connaissance est en train de changer complètement de visage au point d’assurer un succès certain à des concepts comme celui « d’itinérance cognitive ». Et ce sont souvent les petites villes, de même que le monde rural - au travers d’innombrables initiatives souvent méconnues - qui bénéficient des retombées positives de vraies stratégies territoriales en matière d’économie du savoir. Dans le domaine du « tourisme 3.0 », les approches cognitives de l’économie touristique permettent de souligner le développement des moteurs de recherche verticaux et surtout l’exposition de la cartographie interactive, permettant de changer de dimension dans notre approche des espaces que nous appréhendons au travers des connaissances qui nous sont proposées en temps réel.
L’approche du concept d’économie de la connaissance est menée aujourd’hui de multiples manières par les collectivités territoriales. Dans le monde rhénan, la notion d’économie de la connaissance s’apparente à une vision prospective construite par les habitants d’un territoire. L’objectif étant d’avoir une vision partagée du futur, en matière par exemple de politique d’urbanisme. Ceci en misant sur la synergie par exemple des approches des citoyens et des élus locaux, des urbanistes et des techniciens autour de cas concrets tels que la réhabilitation d’un lieu ou la reconstruction d’un quartier. La richesse et le croisement des regards et des compétences de chacun doit permettre d’élaborer un projet consensuel et durable. Cette vision prospective fait parfois encore défaut dans l’élaboration des politiques publiques locales en France et notre Fondation entend d’ailleurs précisément accompagner les différents acteurs en la matière au travers de notre Observatoire Numérique et d’entités de prospective comme La Société du Futur.
En Estrémadure, quarante collectivités de la région se sont mobilisées pour créer des centres de la connaissance. Espaces de mémoire, ces centres préservent et diffusent la culture locale et régionale à travers une immense bibliothèque de l’expérience, de la mémoire du territoire et de ses habitants. L’essentiel est ici de faire en sorte que chacun comprenne mieux le contexte territorial qui est le sien pour mieux se projeter et construire un avenir commun. A l’origine, ce sont des espaces multimédia qui ont évolué vers un dispositif plus élaboré plaçant la gestion de la connaissance au cœur de ces espaces pour développer les capacités des citoyens à pouvoir transformer la gestion des savoirs en acquisition de nouvelles compétences. D’où l’expression même de « ciudades del conocimiento » largement utilisée pour qualifier bien des cadres d’action des élus espagnols.
Dans le nord de l’Europe, à Helsinki, le terme de « territoire de la connaissance » recouvre la notion de partage de l’information au sein de l’espace public : là, les technologies de l’information sont au service de la diffusion la plus large possible de toute information mise à la disposition des citoyens, et ce quel que soit le lieu public : écoles, transports en commun, voies publiques... En Finlande de même, le déploiement des laboratoires vivants ont ainsi eu pour ambition première de mobiliser les compétences et analyses de tous pour devenir des vecteurs d’innovation technologique, mais aussi et surtout sociétale.
Partout en Europe et dans le monde, on assiste à un phénomène majeur d’agrégation des savoirs et des compétences d’un espace donné, donnant naissance souvent à des centres de compétences de taille variée et constituant un vecteur central d’attractivité, de compétitivité et de création de valeur ajoutée. Sont ainsi apparus au cours de ces dernières années, de la Slovénie au Portugal, des dizaines de « laboratoires vivants » réunissant entreprises, structures de recherche et surtout usagers autour de thématiques innovantes, créatrices d’emplois et de dynamiques de promotion de collectivités loin de toujours figurer dans les palmarès de l’attractivité : on peut citer à cet égard les CENT (Centres Européens de Nouvelles Technologies), dont le premier est prévu en Ardèche et les suivants notamment en Dordogne et en Champagne. Il en est ainsi également de réflexion dédié à une prospective des usages du haut débit, développé à Strasbourg sur les bords du Rhin.
Une telle dynamique caractérise de la même manière aujourd’hui des initiatives dans les Hautes Pyrénées telles que celle de Saint Laurent de Neste et de son futur centre d’interprétation du patrimoine ou dans les Hautes Alpes avec le projet de village de la connaissance à Peyresq. On assiste ainsi à une véritable clustérisation des territoires et de leurs compétences qui dépasse donc très largement les structures habituelles de clusters traditionnels ou de pôles de compétitivité : c’est tout ce mouvement qu’entend d’ailleurs accompagner le groupe de recherches sur l’économie de la connaissance créé à l’occasion d’une première réunion au Sénat le 5 novembre 2008 en relation avec les grands réseaux européens de l’innovation.
La diffusion la plus large possible des meilleures pratiques est un excellent moyen de sensibilisation sur ce qui se pratique ailleurs en la matière. Il nous faut aujourd’hui démultiplier ce genre d’ouvrages, mais aussi les faire vivre tout au long de toute une année au travers de manifestations et rencontres multiples. Par ailleurs, les territoires français doivent savoir que la Commission Européenne soutient les initiatives plaçant les technologies de la connaissance au cœur de leur stratégie territoriale de développement : il en est ainsi d’appels à projets comme celui lancé à la fin de chaque année sur le thème précisément des « Régions de la connaissance ».
Plusieurs démarches illustrent très clairement, et surtout de manière très concrète, la genèse à l’échelle des villes et des territoires d’une société basée sur la connaissance, où se voient placés au tout premier plan de l’action locale les rapports entre trois catégories d’acteurs et d’espaces : ceux chargés de la transmission des savoirs ; ceux de la recherche et de l’innovation, et en cela réside avant tout la grande nouveauté ; les habitants et utilisateurs des produits et des services émanant tout à la fois des secteurs privés et publics. Les “laboratoires vivants”, vrais laboratoires d’usages, incarnent parfaitement la triple synergie évoquée : c’est le cas du “Citilab” de Cornellà en Catalogne où se trouvent expérimentés les usages et services de demain au travers d’une réflexion prospective, seule vraie productrice de liens sociaux et de collaborations territoriales. C’est le cas aussi du “Living Lab” de la province de Soria en Castille et León où a été entamée une démarche concrète de zones rurales en difficulté qui entendent se transformer - à Berlanga de Duero notamment - en vitrines d’innovation technologique et sociétale. Soixante-dix espaces se sont de la sorte constitués sous l’égide notamment de la Commission européenne, avec pour objet de dynamiser le tissu économique des territoires et de mettre les technologies de l’information et de la connaissance à la disposition de tous les secteurs d’activité. Ceci aussi bien dans les divers domaines de l’agriculture et de la pêche (à Cudillero dans les Asturies), que dans le domaine de l’e-santé (Grenade) par exemple. Frascati, au nord-ouest de Rome, entend ainsi servir de plate-forme de validation de scénarios et d’expériences innovantes dans de nombreux domaines tels que “l’intelligence ambiante”. En Allemagne, Sankt Augustin veut valider pour les marchés économiques les nouvelles formes de coopération technologique dans des environnements virtuels, Munich a créé un espace dédié aux travailleurs du savoir, Brême se consacre aux services de communication mobile… Au travers de nombreux partenariats internationaux, le Laboratoire Euterto (European Territories of Tomorrow Laboratory), créé au bord du Rhin et consacré notamment aux usages du haut et du très haut débit, symbolise la volonté des régions européennes d’être non seulement pleinement des territoires de la connaissance et de vrais clusters de l’économie du savoir, mais aussi des lieux de référence pour mobiliser savoirs et compétences au service de leur compétitivité. Il forme avec les Centres européens de nouvelles technologies (Cent) qui sont en phase de création dans plusieurs régions d’Europe - de l’Irlande au Valais et à la Toscane - et dont il sera l’espace de réflexion et de projets, une véritable communauté de connaissances destinée à prendre toute sa place aux côtés du futur Institut Européen de Technologie de Budapest. La meilleure illustration de la dynamique engendrée par de tels projets se trouve être très certainement la communauté de communes de Privas Rhône et Vallées où toutes les priorités en matières de développement économique durable et d’animation de terroirs ont ainsi bénéficié au travers du Cent d’une vraie mise en cohérence et d’incomparables synergies.
Ainsi, à l’image aussi d’un quartier comme celui de Poblenou à Barcelone, qui est passé du statut de quartier industriel à la dérive à celui de quartier de la connaissance à l’attractivité exponentielle, c’est le rapport du territoire à l’innovation et à la mobilisation du savoir qui fait la différence dans un contexte de compétitivité exacerbée entre territoires. C’est toute la leçon aussi des centres de la connaissance développés jusque dans les plus petites villes par la région de l’Estrémadure, à partir desquels se sont développées tant de démarches à l’instar des Wikipedia locaux. Ce sont les services aux étudiants développés à Salamanque, ce sont les démarches de cartographie de savoirs à Mataro, en Catalogne, mais aussi, de manière plus générale, la formation de tous aux services électroniques sous l’égide de l’Observatoire de la société de la connaissance de la région de la Rioja. L’information fournie aux habitants connaît évidemment des développements multiples. Après les initiatives finlandaises de Tampere, de Turku ou encore d’Helsinki (au travers récemment d’écrans interactifs expérimentés par cette dernière notamment dans les rues et les écoles), aux côtés des démarches suédoises de villes telles que Malmö qui offre à ses habitants une panoplie d’outils virtuels, les e-stratégies d’une ville comme Almere symbolisent aujourd’hui les ambitions de nombreuses communes : après un premier projet pilote consacré à la pose de fibre, cette municipalité de la banlieue d’Amsterdam a entrepris dès 2005 la création d’une grille de calcul hétérogène municipale, projet qui visait à mettre à disposition des laboratoires de recherche installés sur la ville les capacités inexploitées des ordinateurs reliés à son réseau très haut débit (100 Mbit/s) avec bien sûr pour objectif de répondre aux besoins des entreprises et laboratoires publics installés sur le territoire, mais aussi d’associer la population aux travaux des chercheurs et susciter une prise de conscience collective des potentialités du haut débit. Elle incarne aujourd’hui la participation des habitants aux décisions municipales au travers notamment d’un panel d’internautes et d’un questionnaire accompagné d’un grand nombre d’informations dont l’impact sur les décisions municipales s’avère souvent conséquent.
La typologie des services élaborés par les collectivités est destinée à s’enrichir considérablement. Schwäbisch Hall, dans le Bade-Wurtemberg, a mis en place une liaison de vidéoconférence entre l’hôpital et les écoles afin de permettre aux élèves malades de suivre les cours. En matière de transports municipaux, après de multiples expérimentations en Scandinavie notamment, Malaga a mis en place un dispositif original de paiement de leur utilisation par téléphone mobile, de même d’ailleurs que la ville allemande de Hanau. Pour ce qui est de l’e-gouvernement local, Cologne a multiplié les services en ligne, mais c’est d’Helsinki là encore, comme de Madrid, Londres et Vienne, que proviennent pour ce qui est de l’Europe les efforts les plus remarquables. Si une telle énumération ne reflète que très partiellement l’appropriation par les territoires européens de leur futur, elle confirme néanmoins qu’ils le conjuguent autant en matière de gestion des identités et des compétences qu’au travers d’une définition de l’innovation technologique comme vecteur majeur des synergies entre tous les acteurs. Et nul doute que, dans un monde globalisé, cette démarche ne soit la démarche gagnante des territoires de demain.
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