L'EIT et le futur de l'innovation en Europe
Echange épistolaire à propos de mon récent article du Monde: Le territoire de demain sera fondé sur le savoir de ses habitants
Mon très cher ami,
Je reconnais à travers tes lignes bien des échos de nos discussions au sein des clubs où nous nous sommes connus. Au nom de ces lieux et débats et en leur souvenir, je me permets donc cette petite lettre dont je suis sûre que tu accepteras le caractère ouvert!
Tu réveilles en moi en réalité mon projet de livre consacré aux questions que tu évoques et qui ont précisément fait l'objet du séminaire que nous avons organisé à l'Institut français de Budapest en décembre dernier: j'aurais dû t'y inviter...
Les deux axes que nous y avons développé relevaient justement des portes ouvertes ou fermées du Temple de Janus!
Le premier est celui des multiples espaces de création et d'innovation, des pôles et réseaux de compétences: les villages de Gaule ou d'ailleurs peuvent y retrouver non seulement des opportunités de la métamorphose évoquée par Edgar Morin - s'exprimant lui aussi récemment dans un article du Monde (décidément...), mais aussi des boites à outils pour le gestion de leur identité, en laquelle réside aujourd'hui l'essentiel de l'attractivité d'un territoire.
Le second est celui de la création de hubs d'une société future largement basée sur le savoir et les échanges dont il doit faire l'objet. L'EIT est l'un de ces hubs potentiels: réussira-t-il? Enfantera-t-il réellement ces communautés d'innovation et de connaissance dont notre pays et notre chère Europe ont un si urgent besoin - nous en avons d'ailleurs quant à nous créé un (tu y es le bienvenu si tu souhaites mettre ton expertise à sa disposition) -.
Reste à savoir si l'Europe réussira à créer SON MIT, avec les outils de sa diversité et de ses spécificités ou si elle renoncera à cela pour conforter nos vieilles lunes anglo-saxonnes de réseaux dits d'excellence pour ceux qui y sont, parfaitement monolingues et qui ne pourront du coup ni se comparer à d'autres hubs aujourd'hui existants ou en formation, qu'il s'agisse du MIT ou d'autres carrefours du savoir, avec des modes d'apprentissage renouvelés et des horizons de vie "augmentés" d'itinérance cognitive ou de transparence des valeurs réaffirmées par chacun.
Pour ce qui est de l'appartenance professionnelle et bien d'autres points que tu soulèves, je me permets de te renvoyer à l'excellent ouvrage de Sven Gabor Jansky :"2020. So werden wir leben" ("2020.Ainsi virons-nous").
Nous l'avons évoqué à l'occasion du lancement à Munich la semaine passée d'un réseau européen dédié aux "métiers de l'Internet" que nous co-créons dans le cadre d'un nouveau projet européen.
Pour l'auteur (je lui laisse la responsabilité du scénario), 20% seulement de nos contemporains travailleront à la fin de cette décennie comme ils le font aujourd'hui. 40% le feront de manière plus libre, plus entreprenante et autonome au sein de leurs cadres habituels. Mais 40 % auront un travail "nomade", changeant ainsi tous les deux ou trois ans d'horizons et de thématiques. Une telle mutation - quels que soient au demeurant les pourcentages des divers horizons professionnels -, il nous faut la préparer dès aujourd'hui en nous en donnant les outils les plus adéquats. Cela a ainsi alimenté mes pensées en longeant non plus le Danube, mais la vallée de l'Isar où les villages bavarois jouxtent les Kompetenznetze et où les experts en biotechnologies croisent les fermiers.
Cher ami, je n'ai répondu qu'à quelques-unes de tes préoccupations.
Nous avons encore un long chemin de dialogue et d'échanges, auquel j'invite d'ailleurs tous nos amis.
A très bientôt donc
Laura
-----Message d'origine-----
D: XXX Envoyé: dimanche 24 janvier 2010
À: laura.garcia@...
Chère Laura,
Ceci m'impressionne.
Permets moi quelques réflexions personnelles …
Je fuis toute attitude qui me paraît "petit village gaulois" ou même européen. Je ne nie pas l'intérêt d'un EIT mais le placer d'emblée face au MIT me paraît pour le moins "décalé". Cela me fait penser à l'ambition de recréer la route 128 sur le plateau de Saclay.
Le MIT est certes un institut prestigieux mais le capital intellectuel de la région de Boston comprend Harvard, Vassard (pour les jeunes filles, encore), Boston University etc.
Quid aussi de sa devise "Mens et Manus"?
Un EIT doit se placer dans le "Kriespiel" mondial mais avec quelle vocation et quels moyens? Ceux-ci doivent intéresser, non seulement, les talents européens mais ceux du monde entier, comme le font le MIT, d'autres universités américaines, européennes dont françaises.
La notion de territoire ne peut se définir sans celle d'appartenance.
L'appartenance est aujourd'hui (trop?) fortement liée à des notions politiques, ethniques, géographiques ou religieuses. Dans mon cas personnel, toutes ces notions volent en éclat et je n'ai pas l'impression d'être un cas exceptionnel. Il y a un siècle on aurait pû dire "et cela fera d'excellent français". Aujourd'hui même plus: les canadiens vivent au Canada, certains y sont nés et se sentiraient autant exilés que d’autres à traverser l’Atlantique. Je ne parle pas des Coréens. Quant aux “Chinois” ils voyagent entre la Manche et la Mer de Chine, comme moi il y a quelques années entre Paris et Los Angeles ou Salt Lake City.
Quid aussi de “l’appartenance professionnelle” de certains à de grandes ou petites multinationales?
Tout cela, pour dire qu’une recherche dans ce domaine me paraît un préalable indispensable. Cela devrait te “brancher”. Non?
Bien cordialement,
XXX
Mon très cher ami,
Je reconnais à travers tes lignes bien des échos de nos discussions au sein des clubs où nous nous sommes connus. Au nom de ces lieux et débats et en leur souvenir, je me permets donc cette petite lettre dont je suis sûre que tu accepteras le caractère ouvert!
Tu réveilles en moi en réalité mon projet de livre consacré aux questions que tu évoques et qui ont précisément fait l'objet du séminaire que nous avons organisé à l'Institut français de Budapest en décembre dernier: j'aurais dû t'y inviter...
Les deux axes que nous y avons développé relevaient justement des portes ouvertes ou fermées du Temple de Janus!
Le premier est celui des multiples espaces de création et d'innovation, des pôles et réseaux de compétences: les villages de Gaule ou d'ailleurs peuvent y retrouver non seulement des opportunités de la métamorphose évoquée par Edgar Morin - s'exprimant lui aussi récemment dans un article du Monde (décidément...), mais aussi des boites à outils pour le gestion de leur identité, en laquelle réside aujourd'hui l'essentiel de l'attractivité d'un territoire.
Le second est celui de la création de hubs d'une société future largement basée sur le savoir et les échanges dont il doit faire l'objet. L'EIT est l'un de ces hubs potentiels: réussira-t-il? Enfantera-t-il réellement ces communautés d'innovation et de connaissance dont notre pays et notre chère Europe ont un si urgent besoin - nous en avons d'ailleurs quant à nous créé un (tu y es le bienvenu si tu souhaites mettre ton expertise à sa disposition) -.
Reste à savoir si l'Europe réussira à créer SON MIT, avec les outils de sa diversité et de ses spécificités ou si elle renoncera à cela pour conforter nos vieilles lunes anglo-saxonnes de réseaux dits d'excellence pour ceux qui y sont, parfaitement monolingues et qui ne pourront du coup ni se comparer à d'autres hubs aujourd'hui existants ou en formation, qu'il s'agisse du MIT ou d'autres carrefours du savoir, avec des modes d'apprentissage renouvelés et des horizons de vie "augmentés" d'itinérance cognitive ou de transparence des valeurs réaffirmées par chacun.
Pour ce qui est de l'appartenance professionnelle et bien d'autres points que tu soulèves, je me permets de te renvoyer à l'excellent ouvrage de Sven Gabor Jansky :"2020. So werden wir leben" ("2020.Ainsi virons-nous").
Nous l'avons évoqué à l'occasion du lancement à Munich la semaine passée d'un réseau européen dédié aux "métiers de l'Internet" que nous co-créons dans le cadre d'un nouveau projet européen.
Pour l'auteur (je lui laisse la responsabilité du scénario), 20% seulement de nos contemporains travailleront à la fin de cette décennie comme ils le font aujourd'hui. 40% le feront de manière plus libre, plus entreprenante et autonome au sein de leurs cadres habituels. Mais 40 % auront un travail "nomade", changeant ainsi tous les deux ou trois ans d'horizons et de thématiques. Une telle mutation - quels que soient au demeurant les pourcentages des divers horizons professionnels -, il nous faut la préparer dès aujourd'hui en nous en donnant les outils les plus adéquats. Cela a ainsi alimenté mes pensées en longeant non plus le Danube, mais la vallée de l'Isar où les villages bavarois jouxtent les Kompetenznetze et où les experts en biotechnologies croisent les fermiers.
Cher ami, je n'ai répondu qu'à quelques-unes de tes préoccupations.
Nous avons encore un long chemin de dialogue et d'échanges, auquel j'invite d'ailleurs tous nos amis.
A très bientôt donc
Laura
-----Message d'origine-----
D: XXX Envoyé: dimanche 24 janvier 2010
À: laura.garcia@...
Chère Laura,
Ceci m'impressionne.
Permets moi quelques réflexions personnelles …
Je fuis toute attitude qui me paraît "petit village gaulois" ou même européen. Je ne nie pas l'intérêt d'un EIT mais le placer d'emblée face au MIT me paraît pour le moins "décalé". Cela me fait penser à l'ambition de recréer la route 128 sur le plateau de Saclay.
Le MIT est certes un institut prestigieux mais le capital intellectuel de la région de Boston comprend Harvard, Vassard (pour les jeunes filles, encore), Boston University etc.
Quid aussi de sa devise "Mens et Manus"?
Un EIT doit se placer dans le "Kriespiel" mondial mais avec quelle vocation et quels moyens? Ceux-ci doivent intéresser, non seulement, les talents européens mais ceux du monde entier, comme le font le MIT, d'autres universités américaines, européennes dont françaises.
La notion de territoire ne peut se définir sans celle d'appartenance.
L'appartenance est aujourd'hui (trop?) fortement liée à des notions politiques, ethniques, géographiques ou religieuses. Dans mon cas personnel, toutes ces notions volent en éclat et je n'ai pas l'impression d'être un cas exceptionnel. Il y a un siècle on aurait pû dire "et cela fera d'excellent français". Aujourd'hui même plus: les canadiens vivent au Canada, certains y sont nés et se sentiraient autant exilés que d’autres à traverser l’Atlantique. Je ne parle pas des Coréens. Quant aux “Chinois” ils voyagent entre la Manche et la Mer de Chine, comme moi il y a quelques années entre Paris et Los Angeles ou Salt Lake City.
Quid aussi de “l’appartenance professionnelle” de certains à de grandes ou petites multinationales?
Tout cela, pour dire qu’une recherche dans ce domaine me paraît un préalable indispensable. Cela devrait te “brancher”. Non?
Bien cordialement,
XXX
PS Excuse une remarque toute perso. Ta photo sur le site du Monde est impec.