Les femmes et l’économie du savoir
Le valent-elles?
A l’occasion du Women’s Forum de Deauville et du Prix Nobel donné à Elinor Ostrom, mais aussi des multiples publications de témoignages féminins accompagnant ces deux événements, il nous faut revenir sur la question de l’apport des femmes aux ruptures actuelles de certains paradigmes économiques et sociaux.
A l’occasion du Women’s Forum de Deauville et du Prix Nobel donné à Elinor Ostrom, mais aussi des multiples publications de témoignages féminins accompagnant ces deux événements, il nous faut revenir sur la question de l’apport des femmes aux ruptures actuelles de certains paradigmes économiques et sociaux.
Les contributions qui ont pu nous être transmises et présentées à Deauville d’une part - nous n’avons pas, et de loin, eu communication de toutes - et l’apport d’Elinor Ostrom d’autre part nous semblent en effet sur ce point se révéler partiellement opposées. L’innovation de rupture - au cœur des mutations actuelles - trouve ainsi singulièrement peu d’échos, à l’exception il est vrai des propos courageux d’Anne Méaux sur l’innovation qu’il nous faut une fois de plus saluer, même si nous pouvons sur ce point aller bien plus loin (1). Certaines vont même, actualité oblige, évoquer le prix Nobel remis à une femme en donnant la fâcheuse impression d’ignorer tout de ses travaux… Un communiqué de presse consacré au développement durable ne se contente-t-il pas de titrer: «Elles le valent bien», en faisant tout simplement allusion à la formulation marketing de l’un de ses sponsors...
En suivant Elinor Ostrom
Tout cela, ainsi que bien d’autres réflexions de notre temps, nous ne le trouvons nullement dans les interventions de Deauville ou - encore moins - dans des affichages médiatiques sans intérêt. Faudrait-il en conclure que les femmes les plus en vue aujourd’hui en France ne contribuent en rien aux nouvelles catégories de savoirs émergents? La réflexion d'Ostrom (2) souligne que les droits de propriété, sous des formes multiples combinées à des institutions organisant la coopération, sont plus susceptibles de résoudre la gestion et la protection de l’environnement que les réglementations publiques d'un état centralisé; autrement dit, une société de personnes responsables, à même de former des associations volontaires, résoudra les dilemmes auxquels elle est confrontée en recourant à diverses modalités de gouvernance: mais est-ce toujours aussi vrai de l’innovation de rupture? Une affirmation qui doit nous inciter à rechercher pour chaque ressource environnementale la meilleure solution et à ne recourir aux contraintes règlementaires qu’en tout dernier recours (3). Elinor Ostrom et Oliver Williamson, comme le souligne Eric Brousseau (4), peuvent ainsi être au cœur de vraies réflexions sur la "gouvernance économique" de manière générale. Encore faut-il prendre en compte, comme le soulignaient récemment à Luxembourg plusieurs intervenants à la journée à laquelle nous avons été conviés par la Banque Européenne d’Investissement sur le financement de l’innovation, les vrais actifs incorporels d’une économie de l’intangible: les connaissances, les compétences… Williamson a analysé dans quelles circonstances des transactions doivent être organisées sur des marchés concurrentiels, au sein d'organisations ou de dispositifs de coopération de long terme, alors que sa compatriote a montré qu'en cas d'échec du marché - notamment lorsqu'il s'agit de fournir des biens publics comme les ressources naturelles -, l'intervention de l'Etat est loin d’être toujours la meilleure solution et que divers modes de coopération peuvent s'avérer plus efficaces. Comme l’avance notre collègue dans son article du Monde, la vaste communauté de recherche qu'ils ont contribué à construire - sur le mode quasiment d’une KIC telle que celle que nous avons-nous-même constitué -, accumule ainsi les observations sur la manière dont les agents économiques résolvent leurs problèmes de coordination. Il devrait aujourd’hui être évident en tout cas que le choix d'une bonne gouvernance passe par l'examen détaillé de chaque situation et, plus encore, de la méthodologie la plus innovante en la matière!
Oliver Williamson explique notamment qu'il est parfois nécessaire de réaliser des investissements spécifiques à une relation, comme, par exemple, des investissements dans des compétences, qui peuvent expliquer que l’on s'engage dans une relation coopérative de long terme, alors qu’Elinor Ostrom ne fait que souligner les caractéristiques des ressources qu'il faut gérer en commun. Comme le souligne là encore Eric Brousseau, ces travaux illustrent l'une des évolutions de fond de l'économie depuis une vingtaine d'années : les interactions entre des individus divers confrontés à des problèmes ne peuvent faire l'objet d'analyses simplificatrices et il est essentiel de d’abord comprendre la complexité et l'inventivité des sociétés et des acteurs économiques. Autant de points d'appui à de multiples applications en matière d'organisation des entreprises, des réseaux, des communautés rurales dans les pays en développement ou encore de modalités d'intervention de l'état dans l'économie, tels que les partenariats publics-privés que nous avons évoqué dans nos récentes interventions du Forum des collectivités territoriales organisé à Paris par le Salon de l’Entreprise Durable. Dans un contexte où, de fait, la grande majorité des acteurs économiques, politiques et sociaux reconnaissent que nos cadres réglementaires ont failli, on peut rejoindre Eric Brousseau et Michel Ghertman pour penser que leurs travaux vont être particulièrement utiles, mais pour cela un véritable débat devrait s’engager que nous n’avons guère entendu venir de Deauville…
La femme et l’entreprise de demain
Il est souvent question de la place des femmes dans les entreprises, alors même que l’on sait l’importance des réflexions en cours sur ce que sera l’entreprise de demain: pourquoi les femmes ayant un positionnement en vue dans les entreprises restent-elles à ce point muettes, préférant de loin des formulations convenues, complètement dépourvues d’interrogations prospectives?
L’exemple de l’organisation en matrice de l‘entreprise (une organisation d’entreprise entièrement basée sur le travail collaboratif en petits groupes) récemment mise en avant par John Chambers aurait pu en être l’occasion (5): l’idée du patron de CISCO vise en effet à distribuer les décisions et les réflexions le plus largement possible pour stimuler l’innovation. Voilà un champ d’analyses pour nous toutes, puisqu’il semble que c’est bien dans le sens pragmatique de l’organisation que nous les femmes, nous excellons! Profitons-en dès lors pour confirmer qu’en effet la classique chaîne de commandement s’avère en effet incapable d’étudier de front un grand nombre de projets - alors même que cette démultiplication est justement le propre d’une économie du savoir naissante! Chambers a raison: il faut clairement définir quelques dizaines de priorités et plusieurs conseils rassemblant une dizaine de personnes, alors même qu’un peu partout dans le monde des groupes travaillent sur des problématiques plus précises - des groupes sans cesse en contact entre eux et qui se réunissent régulièrement en réunions de téléprésence -. La mise en place d’une culture de la collaboration n’est pas si facile, pas plus que le choix de procédures de décision communes; il s’agit ainsi notamment d’utiliser soi-même les outils de communication que l’on vend ou encore de démontrer l’expertise de chacun… N’est-ce pas au système de transmission de savoirs qu’il nous faut nous en prendre, contrairement aux propos d’une Catherine Euvrard? Est-ce donc vraiment à la ménagère qu’il nous faut revenir (comme semblerait le dire, pour le moins maladroitement, Lorraine Donnedieu de Vabres), plutôt qu’à cette nouvelle génération de femmes de savoirs qu’il nous faut toutes appeler de nos vœux, à l’instar d’une Mercedes Erra? Mais, à l’heure du lancement de la nouvelle version du système d’exploitation, ne sommes-nous toutes pour autant que des «Windows Women», des systèmes d’exploitation multi-tâches toujours ouverts? Il nous reste décidément à mettre fin à bien des schémas mentaux, colportés tout aussi bien par des voix féminines et dont l’archaïsme n’a d’égal que la banalité? Seront-nous capables de porter les vraies ruptures aujord’hui indispensables à une économie réellement basée sur la connaissance ? Irons-nous à Deauville l’an prochain?
1 - La Tribune des femmes, 17 octobre 2009.
2 - Elinor Ostrom, Governing the Commons, Cambridge University Press, 1990.
3 - Max Falque (International Center for Research on Environmental Issues), La Tribune, 20 octobre 2009.
4 On reprend ici les formulations de notre collègue Eric Brousseau et de Michel Ghertman (Université de Nice), Le Monde, 19 octobre 2009.
5 - Philippe Escande, Les Echos, 21 octobre 2009.
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home